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Le revenu de base au pays des Bisounours

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L’Initiative Citoyenne Européenne pour un revenu de base est clôturée depuis avant-hier et elle n’a pas abouti. Dommage. Néanmoins, j’ai été très étonné du nombre de gens qui en ont parlé autour de moi et sur internet (voyez cette excellente infographie pour ceux qui ne connaissent pas encore le sujet). Étant moi-même partisan depuis un bout de temps, cela m’a fait plaisir. Et, même si l’initiative est clôturée, je pense qu’il faut encore en parler pour continuer à faire évoluer les esprits car, après tout, déjà 285.000 citoyens européens sont déjà favorables à l’idée d’en discuter 1.

Beaucoup de gens sont encore critiques vis-à-vis de cette proposition et c’est bien compréhensible : le changement fait peur. Mais profitons des opposants et de leurs arguments afin de mieux construire une proposition solide. Néanmoins, certains arguments (ceux qui viennent rapidement à l’esprit) ne tiennent pas la route très longtemps et j’aimerais ici leur tordre le cou une bonne fois pour toutes.

Cet article est un peu un « Guide pratique pour une première discussion sur le revenu de base ». Les questions compliquées qui méritent un débat plus profond ne sont pas abordées ici (juste citées en fin d’article).

Quelle est la formule exacte du revenu de base ?

Tout d’abord, un premier point qui me semble fondamental. Le revenu de base inconditionnel (RDBI), c’est un concept assez vieux et beaucoup de monde en a déjà parlé. Beaucoup de monde et autant de visions. Il y a plein de solutions différentes pour mettre cela en place, de la plus libérale à la plus communiste. Ceci pour souligner que ce qu’on peut lire sur un site n’est pas forcément à prendre comme l’évangile du revenu de base. Et un argument contre une vision du revenu de base n’est pas forcément absolu. Il n’y a pas de formule unique du revenu de base. C’est un choix politique qui peut aller dans tous les sens.

CC by Cancelos on Wikipedia (http://commons.wikimedia.org/wiki/File:F%C3%AAte_des_Roses,_2008,_Bisounours.JPG)

Un monde de bisounours

Avec le revenu de base, est-ce qu’on vivra tous avec les Bisounours, dans un monde arc-en-ciel ?

C’est souvent l’impression que vous laissera le message d’un partisan du revenu de base. Porté par des valeurs de solidarité, d’équité sociale et de progrès, un adhérant se laissera facilement à espérer cela. Mais moi, je ne pense pas qu’une allocation universelle nous permettra de vivre d’amour et d’eau fraiche. La révolution française ou la déclaration universelle des droits de l’homme constituent des avancées considérables en termes de bien-être collectif. Et pourtant, des gens meurent encore de faim aujourd’hui, malgré ces deux étapes. Mais un petit peu moins. Ce sera pareil avec le revenu de base.

Arrêtons de croire que le revenu de base est une douce utopie communiste qui nous mènera chez les Bisounours. Pour moi, l’idée du revenu de base est, entre autres :

Et lorsque nous aurons cela bien en tête, il sera primordial de veiller à ce que la mise en œuvre d’un RDBI se fasse en cohérence avec des valeurs essentielles de solidarité et de justice. Histoire de laisser le monde un peu meilleur que quand nous y sommes venus

Une fois qu’on ne sera plus considérés comme des Bisounours, quels autres arguments peuvent être facilement écartés ?

« Ce système communiste fera fuir les riches qui n’auront pas envie de payer pour des fainéants qui ne travaillent pas. »

Soyons sérieux. Aucun système au monde n’a durablement empêché la richesse. Ça n’arrivera pas. On ne passera pas d’une civilisation à son contraire et notre société est aujourd’hui toute entière tournée vers la richesse. Si un revenu de base se met en place, il s’agira d’une nouvelle manière, plus efficace et plus épanouissante, de redistribuer la richesse comme le fait aujourd’hui le chômage. Les riches ne verront pas la différence. Les pauvres oui. Et il y aura peut-être bien plus de riches.

« Les gens ne feront plus rien si on leur donne un salaire gratuitement ! »

Ma première réponse à cette remarque est :
— « Et toi, si on te donne un revenu de base qui te permet d’assouvir tes besoins fondamentaux, que fais-tu ? Plus rien ?
— Moi ? Si, je continuerais ! »
CQFD. D’ailleurs, 80% des gens déclarent qu’ils continueraient à travailler. Et 80% des gens pensent que les autres arrêteront. Cherchez l’erreur…

Alors bien sûr, les gens qui ne font déjà rien maintenant ne feront peut-être toujours rien. Mais au moins, on cassera les aprioris qui les enfoncent dans leur situation (« ce sont des mauvais, des chômeurs… ») et ça leur permettra peut-être de sortir de ce cercle vicieux.

De plus, aujourd’hui, il existe beaucoup de pièges à l’emploi où les gens ont tout intérêt à ne pas travailler s’ils veulent gagner plus. Ceci est impossible avec un revenu de base inconditionnel.

Mais la majorité, oui, continuera à faire quelque chose. Un revenu de base, dans ma vision, devrait être suffisant pour se nourrir (en faisant ses courses simplement), se loger (dans un petit appartement) et s’habiller (juste pour ne pas avoir froid). Et vous croyez vraiment que tout le monde va se contenter de ça ? Vous n’aurez pas envie d’avoir un jardin, une maison plus jolie (avec des meubles dedans), de quoi vous payer un resto ou une gaufre chaude de temps en temps ? Et des vêtements de sport ? Ou ces nouvelles chaussures qui sont « trop belles, quoi… ». Rassurez-vous, les gens auront encore envie d’avoir un peu plus que le minimum vital. Je ne pense pas que le revenu de base viendra à bout de la consommation. L’humanité est ainsi faite, pour le meilleur et pour le pire.

Enfin, il y a aussi beaucoup de gens qui arrêteront de travailler par choix, et ce sera une très bonne chose pour tout le monde. Combien d’emplois existent aujourd’hui parce qu’ils sont subventionnés mais ne servent à rien ? Et même sans subventions, qui ne connait pas des gens qui ne font rien à longueur de journée… mais au travail 2  ? Tous ces gens-là ne seraient-il pas mieux ailleurs, à faire quelque chose de constructif ? Il y a assez de besoins dans le monde du non-marchand, considéré comme moins rentable. Avec un revenu de base et un salaire de compensation très bas qu’une ASBL peut payer (d’autant plus si on ne taxe plus les revenus du travail mais de la consommation — voir point suivant), il serait possible d’atteindre un niveau de vie qui, par choix, est suffisant pour beaucoup de gens engagés.

« Comme il y aura moins de gens au travail, les revenus des états vont diminuer et le système va se casser la gueule. »

Pour ma part, je pense qu’il est illusoire de penser qu’on peut mettre en place le RDBI en gardant notre système social actuel dont le fonctionnement est basé (quasi) uniquement sur la taxation des revenus du travail. Ma vision de l’allocation universelle, c’est de dire qu’il n’y a plus de travail pour tout le monde. Acceptons donc l’idée que ce n’est pas le travail qui produira la richesse dont la société a besoin pour assurer le bien-être des citoyens. Ça, c’était possible entre 1945 et 1970, plus maintenant car tout s’automatise.

Si on met le RDBI en place sans rien changer d’autre, le taux d’imposition grimperait effectivement pour compenser la perte ou l’abandon d’emplois rémunérés. C’est évident. Et c’est pour cela que la mise en place d’un revenu de base doit se faire avec une nouvelle manière de capter l’argent nécessaire au fonctionnement de la société. Comme une taxation de la consommation, par exemple (attention, c’est un choix politique, ça !).

« Personne ne sait comment réagira l’économie si on met ce système en place. »

À mon humble avis, personne ne sait jamais avec certitude ce que donnera un changement dans un système économique. En mettant en place les primes photovoltaïques, est-ce que le gouvernement wallon savait exactement comment allait réagir l’économie ? Non, sinon, il ne l’aurait pas fait. Est-ce que les américains savaient exactement comment réagirait l’économie en faisait le plan Marshall après la guerre ? Ils s’en doutaient, mais s’ils avaient su à quel point cela fonctionnerait, ils auraient donné encore plus d’argent ! La seule façon de le savoir c’est de le mettre en place. Le tout est de le faire convenablement, en réfléchissant intelligemment à la formule.

Pour ma part, je ne suis pas devin, mais j’ai l’impression que l’économie se porterait mieux.

  1. Parce que les gens auraient les moyens de se lancer dans des aventures entrepreneuriales beaucoup plus facilement puisqu’ils auraient un filet de sécurité s’ils se plantent. Et Dieu sait si on se plante souvent en tant qu’entrepreneur.
  2. Parce que notre société serait beaucoup plus libre et tournée vers l’innovation dans la mesure où on n’aurait plus peur de l’innovation « qui-risque-de-mettre-en-péril-des-emplois » , comme c’est souvent le cas aujourd’hui.
  3. Parce que beaucoup de gens créeraient. Oui, créer. Les gens se lanceraient dans leur passion, ce qui reste le meilleur moyen de créer de la qualité, qui est la base d’un bon équilibre économique.

« Mais il faut quand même mériter son salaire ! Ça ne va pas de recevoir de l’argent sans rien faire… »

Première remarque : la population totale en Belgique est de 11.035.948 personnes en 2012 (source). La population active, quant à elle, est en 2012 composée de 4.479.036 3, soit 40.5% de la population belge. Et les soixante pourcents restants sont en fait composés d’environ 30% qui vivent grâce à leur famille (enfants, étudiants, parents au foyer), 20% de rentiers (retraités, grosses fortunes) et 10% sont au chômage.

Actuellement, donc, 60% de la population ne mérite pas son salaire. Elle vit au crochet de la société.

Deuxième remarque : il faut sans doute faire la différence entre mériter son salaire et mériter de vivre. En effet, le revenu de base propose de donner à chacun afin de satisfaire ses besoins essentiels. Doit-on mériter de vivre ? Rien n’empêche, après le revenu de base, de compléter ses revenus par un salaire mérité que chacun voudra obtenir (ou pas) en fonction de ses propres choix.

« Qui va faire les boulots chiants, alors ? Plus personne ne voudra les faire ! »

L’exemple classique est celui de l’éboueur. Un sale travail que personne ne veut faire. Oui, mais s’il est très bien payé, je suis certain que beaucoup seraient très contents de le faire. Si on y met le prix, il y a toujours un volontaire. Cette phrase pourrait passer pour du libéralisme sauvage (et dangereux). Mais n’oublions pas que cette situation hypothétique diffère fondamentalement de notre situation actuelle : dans une société du revenu de base, c’est le travailleur qui offre son temps de main d’œuvre et ce n’est pas l’employeur qui offre du travail 4. Le travailleur n’a pas la corde au cou s’il ne travaille pas ; il est assuré de survivre. Cette situation renversée permettra, je l’espère, de trouver un équilibre différent de celui que nous connaissons.

De plus, un élément me semble essentiel à ajouter. C’est difficile à concevoir, mais d’après moi, ces boulots chiants sont amenés à disparaître. Tout simplement. En effet, aujourd’hui, le pas à franchir pour licencier des centaines d’éboueurs est immense. La pression politique est forte pour garder l’emploi. Donc, personne ne se risquerait à proposer une solution qui se passe d’éboueurs (un collecteur de poubelle géant, un hélicoptère automatique ramasse-poubelle, que sais-je…) : il se verrait confronté à un refus. Car politiquement, ça ne passerait pas. Du coup, personne ne veut risquer le coup financièrement.

CC by stanjourdan on Flickr (http://www.flickr.com/photos/stanjourdan/8525489347)

Revenu de base en Namibie

 Et quoi, trop facile ? Il n’y a pas d’autres arguments ?

Si, il y a encore beaucoup d’autres points très intéressants à discuter. Le revenu de base pose des questions difficiles. Elles ne sont pas aussi simples que les arguments bisounours donnés dans cet article. Je ne rentrerai donc pas dans leurs détails ici. Mais pour aiguiser votre curiosité, je vais en citer quelques-uns. Voici donc les vrais questions à se poser à propos du revenu de base :

Mais pour moi, le plus grand problème du revenu de base reste encore la transition. Comment peut-on passer de notre système à un autre, sans trop de heurts et de déséquilibre ? Dès que j’en saurai plus, je n’hésiterai pas à vous le faire savoir. :-)


Photos:

 

Notes:

  1. Et au passage, 125.000 Suisses aussi, qui ont réussi à faire passer un référendum à ce sujet.
  2. D’ailleurs, voici une phrase véridique entendue dans le train par votre serviteur : « Non, moi je n’ai pas envie de télétravailler… je ne fais déjà rien au boulot, mais si en plus je suis chez moi, je ferais encore moins ! » Et donc ces gens-là sont respectables, mais les chômeurs non, c’est ça ?
  3. pour savoir d’où vient ce chiffre, j’ai additionné les trois tranches d’âge présentée dans la source : 335.006 (de 15 à 24 ans) + 3.009.606 (de 25 à 50 ans) + 1.134.422 (de 50 à 64)
  4. Je l’accorde, cette phrase est sujette à caution. Certains pensent en effet que le revenu de base précariserait l’emploi. Moi je crois qu’on peut l’éviter : tout dépend de la volonté politique lors de la mise en place de ce système…

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