Je ne crois pas aux partis. Je n’aime pas les partis. J’ai trop vu ce qu’ils apportent de mauvais dans notre société. J’ai trop souvent été témoin de leurs coups tordus, leurs bassesses. Si je me lâchais, je pourrai rabaisser une multitude de belles insultes, bien vulgaires et méchantes, au rang de simple épithète pour partis politiques. Ce que nous utilisons comme vocabulaire pour faire mal, pour injurier, pour traîner nos ennemis dans la boue, les partis belges s’en drapent, du haut de leur pouvoir, comme si de rien n’était : « On dit que je suis électoraliste ? Népotiste ? Corrompu ? Populiste ? M’en fous, car je suis au pouvoir. J’ai le pouvoir »
D’où vient cette haine que j’ai pour ces structures pourries que sont les partis ? Je ne suis qu’un simple citoyen qui lit la presse, certes avec un œil critique, mais quand même… Je crois que mon problème est que je suis idéaliste. J’aspire à un monde meilleur. J’espère « laisser le monde un peu meilleur que quand je l’ai reçu 1 ». Et un idéaliste, c’est visiblement ce qui est le plus éloigné des organisations politiques et de leurs calculs électoraux.
Mais qu’est-ce que cette chose ignoble qu’est un parti politique ?
Normalement, un parti, c’est un ensemble de gens qui partagent des idées et qui souhaitent les mettre en œuvre en étant élus. Aujourd’hui en Belgique, un parti est une structure forte et hyper hiérarchique dont le but est d’obtenir plus de pouvoir de manière à assurer son avenir. Le parti vit pour lui-même, par lui-même. Par la confiscation du pouvoir, il veille à sa propre survie. Les idées avancées ne sont plus qu’une couverture pour faire croire aux derniers des crédules que le parti se bat pour leur bien. Les partis sont, dit-on, institutionnalisés.
En fait, la Belgique est surtout devenue une particratie. Voilà, le vilain mot est lâché. Oui, je pense qu’on vit en particratie. Oui, je trouve cela dramatique. Et c’est pour cela que je hais les partis politiques. Et qu’on ne vienne m’accuser de populisme. Non, ce n’est pas populiste de dire cela, figurez-vous. Même les politologues et hommes politiques le disent. M. Francis Delpérée, sénateur : « Les formations politiques s’approprient volontiers une part des prérogatives citoyennes […] c’est la particratie 2. » Ou encore M. Jean Faniel, directeur du bien connu CRISP : « la Belgique demeure[…] une particratie, au détriment des parlementaires 3. » Le drame, c’est que ça n’émeut personne ! Comment peut-on dire cela et que ça ne provoque pas un tollé ? Et quand moi je le dis, je serais populiste ? Bande d’aveugles ! Se rend-on seulement compte de ce que cela signifie ?
Vision pessimiste, cruelle et populiste ? Je ne pense pas. Car ce que je dis dans cet article avec dégoût et colère, se retrouve aussi dans n’importe quel journal. Je sais, j’en lis chaque semaine. Et quasiment à chaque fois, je lis des révélations choquantes, grosses comme des maisons, qui prouvent que les partis sont des choses nuisibles pour la société. Et chaque semaine, les journalistes en parlent comme de la chose la plus normale. Moi, ça me désespère. Alors je vous contacte un petit florilège des raisons pour lesquelles je hais les partis.
Avec un peu de recul et de réflexion, il devient évident que le comportement des partis est inadmissible. Non, ce qu’on lit dans les journaux n’est pas normal.
1. Le but d’un parti n’est pas de représenter le peuple ou de promouvoir des idées, mais de gagner une élection.
Si à l’origine, le parti servait à faire avancer des idées, en groupant ensemble des gens qui souhaitaient la même chose, force est de constater qu’aujourd’hui, les idées ainsi que la volonté de représenter le peuple n’est plus à l’ordre du jour. On peut lire le politologue Nicolas Braygaert 4 : « La particratie, telle que nous l’expérimentons neutralise de facto tout leadership susceptible d’imprimer un cap politique ambitieux ». Quant à moi, deux points me font dire que les partis ne travaillent plus sur leurs idées, mais seulement sur leur image.
Tout d’abord, l’affligeante vacuité des slogans électoraux et des messages politiques. Ils sont en effet construits dans un but publicitaire, pour capter de l’audimat. Ce qu’il y a derrière importe finalement très peu. Résultat : c’est à peu près tous les mêmes messages… légèrement orienté pour bien coller à l’image qu’on veut donner pour séduire. « Plus d’emploi, moins d’impôts, plus de solidarité, moins d’insécurité » ; « Je suis pour les centres sportifs. » ; « Je suis pour que les jeunes ait un emploi à 20 ans. » ; « Je suis pour qu’on vive tous heureux. » Je ne sais pas si je dois les traiter de bisounours ou d’enfoirés.
Ensuite, vous remarquerez que les idées politiques n’ont plus leur place pendant les élections. Vous ne nierez pas qu’aujourd’hui, on parle plus de stratégies électorales, d’offensive médiatique, d’image et de storytelling que d’idées. Même les journalistes ne s’arrêtent plus que rarement aux idées développées par un parti, ou par un candidat (et certainement pas au-delà du slogan). À un mois et demi des élections, ils parlent surtout des jeux de stratégie et des rôles des présidents de partis (exemples ici et ici). Qui sera tête de liste ? Quelle machine à voix tirera/poussera la liste ? Quelle stratégie adopter ? Quand lâcher des infos compromettantes pour les autres ? À quel moment faut-il lâcher telle information ? Et l’intérêt des citoyens, hein !? On en fait quoi, bandes de coprolithes politiciens !? Je sais que les slogans creux sont plus rentables pour vous que les débats de fond, mais c’est aussi votre rôle d’être pédagogique !
Le résultat d’une élection c’est ceci : le parti qui fait la meilleure campagne gagne le pouvoir. Alors que moi j’aimerais que ce soit : le candidat qui a les meilleures idées et qui est le plus efficace est élu représentant du peuple. La nuance est grande, très grande.
2. Le parti politique se fout de l’avis de l’électeur.
L’avis de l’électeur ? Rien à foutre. Le respect du résultat des urnes ? Et puis quoi encore !? L’homme politique est un pion au service de son parti et de son président. Un panneau publicitaire pour attirer le chaland. Rien de plus. Si le citoyen élit quelqu’un à une fonction, cela ne signifie absolument pas que cet élu siégera (exemple ici). Car, in fine, c’est la stratégie du parti qui importe !
Pour preuve, je vous soumets ici un tableau synoptique qui analyse les fonctions exercées par deux mandataires politiques bien connus — MM. Di Rupo et Demotte 5 — en fonction du résultat des élections.
–a– les années
–b– les élections qui se sont tenues cette année-là
–c– le résultat des urnes
–d– les colonnes E, F, R, C, respectivement pour les niveaux Européen, Fédéral, Régional et Communal.
–e– les fonctions exercées.
(1) en couleur vive, les années où le candidat a exercé une fonction à ce niveau, après avoir été élu
(2) en couleur pastel, les années où le candidat n’a pas exercé de fonction à ce niveau, alors qu’il a été élu
(3) une croix pour les années où le candidat a exercé une fonction à ce niveau alors qu’il n’a pas été élu.
Ces tableaux sont riches en enseignements. Qu’y voit-on ? Tout d’abord qu’il n’y a aucune corrélation entre la colonne « élections » et la colonne « fonctions exercées ». Mais aussi que…
- Les deux élus se sont présentés à toutes les élections. Toutes. Et on voudrait nous faire croire que c’est parce qu’ils veulent vraiment participer activement à chaque niveau de pouvoir ?
- Pendant 11 ans, M. Demotte, élu bourgmestre de Flobecq, n’a pas pu siéger car il avait d’autres fonctions. Il a ensuite démissionné en 2011 pour déménager à Tournai où il se présente en 2012. Où il est à nouveau élu bourgmestre, mais toujours empêché. Donc, en trois mandatures communales, il n’a jamais été à même de prendre ses fonctions de bourgmestre ! Cela ne l’a pas empêché de se représenter à chaque fois. WTF ? Quel sens cela a-t-il ? Et le premier qui me parle d’un bourgmestre empêché qui exerce quand même son influence dans la commune et qu’il siège au conseil communal est en train de souligner très fort à quel point les hommes politiques se foutent comme d’une guigne de la loi sur le cumul des mandat.
- En 1999, 2005 et 2006, M. Di Rupo a été ministre-président wallon. Alors qu’il n’avait jamais été élu sur une liste régionale. Comment est-ce possible ? Ah oui… comme le disent si bien les journalistes, le PS « avait la main » car il avait gagné les élections. C’est donc le président qui décide de tout… (Et tout le monde trouve cela normal ?)
- Entre 1999 et 2013 (15 ans), M. Demotte aurait dû prester 44 ans de mandat. 30 n’ont pas été prestés et il a exercé pendant un an une fonction à laquelle il n’a jamais été élu.
- Sur 15 ans de mandat qu’il aurait dû exercer au niveau fédéral, M. Di Rupo en a presté 6. Sur 6 ans de mandat qu’il aurait du exercer au niveau régional, il en a presté 1 (et je n’en ai pas analysé le contenu).
- Les élections européennes se résument visiblement à un concours de celui qui a la plus grosse. On y présente des faiseurs de voix car la circonscription électorale est la plus grande et permet donc de faire un bon score. Ce n’est pas une raison pour penser qu’on lâcherait un poste de président de parti pour l’Europe (ce qui prouve une fois de plus le rôle et la puissance du président de parti).
Mais je n’ai pas tout dit ! Vous aussi, amusez-vous à repérer toutes les manigances que recèlent ces deux tableaux…
Conclusion ? L’électeur n’a rien à dire. Rien à foutre, de l’électeur. Les élections sont réduites à une mesure d’audimat pour des structures avides de pouvoir. À la fin, il n’y a que le parti qui décide et fait voyager ses pions au gré de la stratégie. D’ailleurs, d’après le CRISP, « Aucun mécanisme n´existe pour dissuader ou pénaliser cette pratique. […] Ainsi, un ministre ou un parlementaire à un autre niveau de pouvoir peut se présenter comme candidat à une élection en vue de soutenir la liste tout en sachant qu´il ne siègera pas s´il est élu 6. » CQFD.
3. Les mandataires politiques ne sont plus élus du peuple, mais élus d’un parti.
Les partis ont le pouvoir, à tel point qu’il est aujourd’hui normal de considérer les élus comme « leurs » élus, au lieu des élus du peuple. D’ailleurs, ne présente-t-on pas toujours les élus comme membre d’un parti ? À nouveau, le vocabulaire utilisé dans les médias est frappant ; la sémantique ne fait pas tout, mais a quand même une valeur de symbole.
Le symbole, quant à lui, est dépassé — et de loin — quand il engendre des pratiques absurdes. L’une d’elles, peut-être la pire, est la notion de consigne de vote. N’y a-t-il vraiment que moi qui suis choqué par ce principe ? Parce que tout le monde en parle comme d’un fait tout-à-fait normal… C’en est même arrivé au point que, pour les dossiers les plus délicats, les parlementaires en viennent à espérer publiquement qu’ils pourront voter selon leur âme et conscience 7. Mais c’est un comble ! C’est votre boulot de faire ça tous les jours, pour tous les votes, nom de dieu !
À nouveau, je désespère : comment en est-on arrivé là ? Comment se fait-il que des gens partageant une même idéologie soient obligés de toujours voter de la même manière ? N’y a-t-il jamais de nuances dans une idée ? N’y a-t-il jamais de place pour la discussion ? En fait, la Vérité (avec un grand V) existe, et elle est définie par le parti. Triste constat.
5. Les parti s’accaparent le pouvoir, alors qu’ils n’ont aucune légitimité
Les partis ont le pouvoir. Le meilleur exemple reste encore le rôle donné aux (ou pris par les) présidents de partis. Qu’on soit bien clair : les présidents de partis sont des usurpateurs. Ils n’ont aucune légitimité démocratique. Au-cu-ne. Ils en ont peut-être une au sein de leur parti, uniquement. Et encore. Mais comment se fait-il qu’aujourd’hui ils jouent un rôle essentiel dans la politique belge ? Parce que oui, en pratique ils sont aujourd’hui les grands décideurs.
Un très bon exemple est l’abdication du roi Albert, à laquelle les présidents de parti étaient invités. On y a vu les représentants du pouvoir judiciaire, les ministres (normalement élus), les présidents de la Chambre et du Sénat. Mais les présidents de partis !? Franchement ? Pourquoi se sont-ils incrustés là ? Qu’est-ce qu’ils foutaient là ? Quel pouvoir représentent-ils ?
Autre exemple, dans un article sur le duo bruxellois Picqué-Moureaux 8, on apprend que « Moureaux établit le statut de la future région bruxelloise » (en 1989 avec Dehaene) et laisse à Picqué le soin de devenir ministre-président. Lui, « préfère la grande politique » (sic) et devient président de la fédération bruxelloise du PS. « Moureaux hérite du vrai pouvoir, des arbitrages, des luttes d’appareil, de la distribution des mandats et de la composition des listes » (re–sic). Est-ce que le journaliste s’est seulement rendu compte de ce qu’il a écrit ? Que la présidence d’une fédération régionale de 4000 membres a plus de pouvoir que le chef du gouvernement bruxellois (un million d’habitants) ? Il n’y a que moi que ça choque ? Il n’y a que moi qui trouve ça aberrant, débile et anti-démocratique ? Après, on viendra me dire que la particratie est une invention des petits partis pour râler sur les grands…
Dans un autre article 9, une politicienne envisage les scénarios si le fin de la Belgique devait se concrétiser en mai 2014. Et déclarer, tout naturellement que « les présidents de partis dissoudraient la Belgique pour recréer immédiatement une confédération d’états indépendants. » Et en quel honneur serait-ce les présidents de partis ? On est au point où on ne fait même plus semblant de prendre en compte la volonté des différents parlements belges, seules assemblées légitimes et démocratiques. Je vous le disais : sans aucune légitimité, les partis ont le pouvoir.
Comment en est-on arrivé à publier ça dans un journal et trouver ça normal ?
Conclusion
Je comptais encore écrire beaucoup de choses, mais cet article est déjà trop long. Je vous épargnerai donc le sujet des intercommunales qui servent à fournir des fonctions aux membres du parti, des administrations pourries par les jeux de nominations ou des société de droits publics où les partis choisissent les gagnants des adjudications publiques en fonction de leurs intérêts. C’est sans doute le sujet où il y a le plus à dire. Il faudrait plus qu’un article pour tout cela.
Mais vous l’aurez compris, je hais les partis politiques, ou au moins ce qu’ils sont devenus. D’aucuns pourront évidemment me reprocher de dire cela et de m’impliquer en même temps chez les Pirates, qui forment un parti… Mais non, je ne trouve pas cela incohérent, et ce, pour plusieurs raisons :
- Les Pirates sont, d’après moi, un mouvement citoyen, avant d’être un parti. Je l’explique en long et en large dans cet article. Cette différence marque une différence d’objectif.
- Vous noterez que, comme beaucoup de pirates, j’essaye d’utiliser le plus souvent possible le vocable « pirates » plutôt que « Parti Pirate ». Sémantique, à nouveau, mais qui recèle une vraie symbolique. Nous portons des valeurs et des idées, pas un parti.
- Comme tout nouveau parti, les pirates n’ont pas d’élus, pas de pouvoir. Nous ne sommes donc pas sujets à ces problèmes. Nous sommes encore beaucoup d’idéalistes, qui pensons plus au bien commun qu’au pouvoir personnel. Le jour où les pirates ont du succès et rentrent dans le jeu de la particratie, je serai le premier à partir.
Mon souhait avec cet article était multiple. Comme vous l’avez vu, je voulais d’abord laisser sortir tout cette rage qui m’anime quand je lis tout ce que ces crapules font tous les jours. Mais en fait, je voulais délivrer un autre message : oui, nous vivons en particratie. Cet article le démontre assez. Oui, c’est un fait et non, ce n’est pas populiste de le dire. Ce n’est pas juste « pour dire du mal des gens au pouvoir ». Non. C’est pour vous réveiller. Vous aussi, quand vous lirez votre prochain article politique, soyez conscients ! Ce n’est pas parce que c’est écrit en dixième page d’un hebdomadaire quelconque, sans effets de manche, que ce n’est pas scandaleux ! J’ai l’impression que les journalistes se trompent souvent de scandale à mettre en première page…
Note : Je voulais lâcher ma haine des partis, mais n’oubliez pas de lire le côté plus constructif de ce même message en lisant cet article. Il ne s’adresse plus aux partis, mais aux élus. Et puis donnez votre avis sur l’article que vous préférez sur cette page.
Photo :
- Manifestant en Ukraine (18/02/2014) : Creative commons (CC-BY-SA-3.0) by Mstyslav Chernov, via Wikimedia Commons
- Panneaux électoraux : Creative commons (CC-BY-SA-3.0) by moi (photos prises à Lillois, mars 2014)
Notes:
- citation de Lord Baden Powell of Gilwell ↩
- Le Vif n°46, 15 novembre 2013 ↩
- Voir ici ↩
- Le Vif n°12, 21 mars 2014 ↩
- Oui, deux socialistes, mais ce sont de loin les plus faciles à trouver ↩
- Pour la première fois, cependant, la règle dit qu’un candidate ne peut pas se présenter sur différentes listes en même temps. Mais à un an d’intervalle, pas de problème… ↩
- Références : sur la libre ou sur le soir (voir la section MR) ↩
- Le Vif n°12 du 21 mars 2014 ↩
- Le Vif du 26 juillet 2013 ↩